L’hôpital m’a traité comme un chien

Après six ans d’absence, il est évident que ce blog n’est plus celui d’un étudiant infirmier.
Je souhaitais vous parler de ma première expérience professionnelle après l’obtention de mon DEI.

Juillet 2015: Mon diplôme en poche, je me mets à chercher du travail. Certains contacts m’ont parlé d’un grand hôpital psychiatrique dans lequel j’ai effectué deux de mes stages. Après un stage préprofessionnel en hématologie assez mitigé, je ne me sens pas l’âme d’un grand technicien des soins. Par ailleurs, je ne me vois pas intégrer un pool et d’aller boucher les trous tous les jours dans des services différents. LE tout en CDD pendant potentiellement 3 ans.
L’hopital psychiatrique en question est en plein remaniement de son service des urgences, beaucoup de monde est parti, ils ont besoin de remplir les effectifs. On me propose une titularisation avec un bémol: Pendant un an, je dois aller où on me dit d’aller, sur un seul poste. On m’annonce que ce sera en CMP/CATTP. Un poste en extra hospitalier. De l’animation de groupe, des prises en charge à gérer en solo ou en binome psychiatre IDE. Poste assez tranquille mais je finis par m’y ennuyer et je ne m’intègre pas dans cette structure où je suis le seul débutant, et je n’ai pas l’impression d’être très utile car je n’ai presque pas d’expérience. Certains collègues sont agacés par le fait qu’on leur ai collé en boulet fraichement diplomé pour une structure qui a besoin de gens à la fois forces de proposition et expérimentés. Je ne me sens pas légitime à proposer quoi que ce soit et je ne m’invente pas une expérience que je n’ai pas. J’aurais pu rester sur ce poste qui était tranquille et pas bien dangereux. On me fiche relativement la paix parce que je suis plutôt en bons termes avec le chef de pôle, pour qui l’extra hospitalier est un poussin qu’il couve de son aile protectrice (normal, l’extrahospit est la vitrine de la politique de réduction des budgets de l’hôpital, pour 1€ de budget supplémentaire dans l’extrahospit, on enlève 5€ de budgets aux unités hospitalieres…).

Je décide de me barrer au bout d’un an et je postule dans un service d’entrée réputé difficile mais avec une équipe chaleureuse. Et en effet, ce service sera celui où j’aurais rencontré la meilleure équipe. Du moins, l’équipe avec qui j’ai le plus grand vécu émotionnel. Au bout de 3 ans, je décide néanmoins de changer de service. Je développerai plus dans un prochain article.

Je débarque donc dans un autre service d’entrée, et là c’est le cauchemar. Je suis pris en grippe par certaines collègues qui montent beaucoup de monde contre moi. Je ne tiens pas à verser dans le pathos, mais je passe une année très difficile. On ne m’explique rien, on ne me dit pas bonjour, je me mange des remarques assassines toute la journée. Forcément, je me ferme. J’essaie de faire mon travail du mieux possible comme toujours, mais mon moral est au plus bas, plusieurs difficultés personnelles viennent noircir le tableau. La psychiatrie est une spécialité difficile même quand on va bien, alors quand on va mal…
Ma décision est prise: Je n’en peux plus de l’hôpital et de sa façon de traiter son personnel. Je n’en peux plus des équipes, des histoires, des croche-patte. Je vais partir pour exercer en libéral.
Je rédige une demande de mise en disponibilité qui est acceptée d’office par ma cadre supérieure. Pendant 3 mois, je vide mon casier, je vais au boulot en mode robot, un jour après l’autre. Finalement, je m’en vais. Ma cadre me dit qu’elle rédigera vite fait une évaluation lambda qu’elle m’enverra par courrier pour validation.

L’introduction est finie et nous arrivons au cœur du sujet. Nous sommes en novembre 2019, j’exerce en libéral depuis 6 mois, je ne pense plus à l’hôpital, mon quotidien est chargé, j’ai déménagé, ma vie repart sur de bons rails. Et je reçois par courrier mon évaluation pour ma dernière période de boulot à l’hopital psychiatrique.

Et je tombe de l’armoire.

1 page de mensonges, d’exagérations, d’inventions, tout dans le but de me faire passer pour un incompétent, asocial et même dangereux. Une baisse de ma note pour parfaire le chef d’oeuvre. Autrement dit, si un jour je veux réintégrer la fonction publique hospitalière, je peux oublier à tout jamais. Un ultime coup de couteau dans le dos. Je suis furax et me retiens d’appeler dans mon ancien service pour hurler mes 4 vérités à la cadre. Au lieu de cela, je me calme et formule un courrier de saisine de la commission paritaire pour obtenir une révision de mon évaluation. Après plusieurs mois, je reçois un courrier d’informant que la commission m’a timidement donné raison. Le directeur a donc remplacé un mot pour un synonyme, sans rien changer d’autre. Ok, vous voulez la guerre, vous l’aurez. Je me munis de ma plume et de mon encrier pour écrire un courrier visant à saisir le tribunal administratif. Cela me prend 5 ou 6 heures, pour 2 pages et une dizaine d’annexes. Je l’envoie en dématérialisé, et j’attends. Après encore plusieurs mois. Je reçois un mail: Le juge considère ma demande comme recevable et il y aura une instruction. Je souris donc à l’idée que mes ennemis reçoivent ce premier direct en plein visage.
Longue procédure pour eux: Je n’ai pas été reçu en entretien pour évaluation, ce qui est une faute de leur part. ils doivent s’en défendre. Deuxièmement, ils doivent produire des preuves de ce qui m’est reproché, et pouvoir étayer leurs allégations. Je souris plus largement parce que je sais qu’ils en sont incapables.

Comme la procédure est dématérialisée, j’ai le plaisir de pouvoir consulter le dossier de défense de l’hôpital. J’ai alors l’image d’un poisson fraichement pêché qui se tortille frénétiquement sur le rivage, paniqué par l’absence de flux liquide dans les branchies. Ils ont ramené tout le monde: cadre, cadre sup, direction des soins, ressources humaines, pour expliquer que je suis nul parce que je suis nul. Ils évoquent un conseil de discipline dont j’ai fait l’objet pour un motif ridicule, qui n’a été suivi d’aucune sanction. A l’époque, j’avais accepté d’être leur putain, j’étais jeune et lâche. En plus de la quasi absence de sanction, on ne peut justifier une sanction par une autre sanction. Je m’attendais à ce qu’ils produisent un faux en écriture pour au moins expliquer pourquoi ils disent en évaluation que j’ai gravement transgressé un protocole de sécurité, mais même pas. Ils n’ont rien à dire de plus que: « c’est un bouffon on l’aime pas ».

Je ne m’attends à rien parce que je suis du genre à me méfier de l’Administration et la Justice, mais je suis forcé de reconnaître que la justice existe. On me donne raison après presque 2 ans de procédure. L’hôpital est condamné, entre autres, à refaire mon évaluation. Après 2 mois d’attente et aucune notification d’interjection d’appel, je décroche mon téléphone pour narguer gentiment le DRH et l’informer qu’il faut refaire mon évaluation, dans des termes plus respectueux de la réalité. 2 mois plus tard, je reçois une évaluation vierge de tout commentaire avec l’augmentation de ma note qui m’était due.

J’ai donné 6 ans de ma jeune existence à cet hôpital qui en retour n’a fait que me planter des couteaux dans le dos. Quand des patients nous agressent ou nous tuent, l’hôpital fait tout pour rejeter la faute sur les professionnels. Ce qui devrait être un lieu de soin, de bienveillance, de care, n’est qu’un immense panier de crabes, dans lequel les gros veulent écraser les petits pour se maintenir en haut de la masse grouillante. On habille tout cela de novlangue RH pour se donner l’illusion qu’on « rationalise », qu’on « pilote l’efficience ». Pendant ce temps, les petits crabes, moi et mes collègues, on essaie de soigner, d’apaiser, de retaper des gens détruits pour qu’ils puissent reprendre leur existence le mieux possible. Les seuls qui auront droit à de la considération par la hiérarchie sont les suce-boules qui parlent le même langage qu’eux et sont tous contents de naviguer sur ce rafiot miteux, dans l’espoir de pouvoir eux aussi monter de quelques étages vers le haut du panier.

Et puis il y a moi.

N’a toujours compté pour moi que le patient. Je ne recherche pas à me faire mousser, à recevoir des mercis en pagaille ou à sauver le monde. J’essaie juste de les aider du mieux possible. Or, pour faire cela, j’étais obligé de m’opposer à la politique de réduction des coûts. Dans mon premier service à titre d’exemple, nous n’avions jamais de linge. Les patients devaient souvent se laver avec les lavettes pour le sol, des taies d’oreiller, et se sécher avec des draps de lit. Moi, face à cela, je gueule, je m’insurge. L’injustice m’est insupportable. Je pensais intégrer le camp du bien, que j’aurais du pouvoir pour aider les autres. J’ai compris comment fonctionnait la machine et je n’ai pas été avare en sarcasmes, en coups de colère, et je suis rapidement devenu une cible à abattre, ce qui explique l’acharnement dont j’ai été victime, à la fois par les collègues, et par la hiérarchie. L’hôpital français ne recherche pas des soignants, mais des moutons, soumis et corvéables à merci.

Quelle est la conclusion ?
Premièrement, je ne retournerai jamais à l’hopital public français. J’ai fait des vacations en clinique et j’ai aimé, bien que cela me désole. Je crois au service public et je voulais vraiment en faire partie, mais il est mort et enterré. Après 6 ans d’hosto, je n’avais que mes yeux pour pleurer. Un salaire de misère, du harcèlement moral, de la pression administrative… Mais certainement pas les moyens d’avoir un projet de vie.
Après 3 ans de libéral: Je suis propriétaire de ma coquette maison de village où je me sens bien. J’ai des moyens corrects sans nager dans le flouze. Je travaille une quinzaine de jours par mois, suis associé dans un cabinet avec plusieurs collègues. Nous sommes respectés dans notre secteur. Pas de chefs qui nous donnent des ordres stupides ou des médecins qui nous méprisent. Enfin, je peux faire ce que je veux comme je veux: Soigner.

Je voudrais donner un conseil aux collègues qui souffrent a l’hopital: Vous ne leur devez RIEN, ne vous laissez pas faire. Ne les laissez pas vous faire peur avec les évaluations. Agissez, résistez. Je rêve d’une grève générale dans la santé qui mettrait tout ce système à genoux. Pour qu’enfin, nous, les IDE, soyons rétribués et respectés à la hauteur que nous méritons. Au lieu de nous cracher dessus ou de nous présenter la pratique avancée comme un progrès alors que cela vise de nous à faire encore les tacherons des médecins.

Nous sommes fiers et forts. Ne vous soumettez jamais.


Hello folks

6 ans sans publier. Il s’en est passé des choses. Le diplôme, la psychiatrie, ma rupture définitive avec l’hôpital français. Un procès, une statuette maya dans un temple abandonné, mon installation en libéral… Un intrus s’est dissimulé dans la liste.J’ai l’intention de me remettre à publier sur ce blog dans un futur proche. Je tiens à saluer les personnes qui ont pris la peine de m’écrire pour me demander ce que je devenais, ou me demander des conseils, ou encore rire à mon style d’écriture.

A bientôt.